[Fiction] Le jardin des regrets.

Augmenter le son de la télévision ne servait à rien: elle continuait son monologue...
Alice soupira de fatigue, une fois encore, sa mère lui gâchait son après-midi avec son conseil à deux francs six sous. Elle mit son épisode de Friends sur pause et se tourna vers l'objet de son exaspération: Carole Fever.
Celle-ci ne remarquait pas le mécontentement de sa fille et continuait son récit sans lui laisser le temps de placer une phrase, tout en continuant de préparer son cocktail de fruits.

"Alice chérie, tu vas bien devoir quitter ce canapé un jour ! Regardes-toi, on dirait une vieille ! Tu n'as que 16 ans trésor, il serait temps que tu fasses des choses...de ton âge ! Je ne sais pas moi, sortir dehors, faire du shopping entre amies, faire du...
-Je n'ai pas d'amies maman, et tu le sais très bien, interrompit la principale concernée.

Celle-ci soupira de nouveau, se disant que jamais elle ne pourrait regarder tranquillement cette série tant qu'elle le faisait chez elle.
La jeune fille se pencha en avant et attrapa le pot de glace coincé entre un paquet d'Oreo et le coffret Dvd de la saison 4 de Friends.
Elle enfourna dans sa bouche une cuillerée de son dessert préféré, bien qu'un peu fondu, et jura grossièrement quand elle vit qu'une tache couleur vanille sur son bas de jogging.
Elle approcha son visage sur sa jambe et lécha la glace qui s'y trouvait.
De son côté, sa mère tiqua devant le peu de savoir-vivre de sa fille.
Elle ne pouvait décemment pas être de sa progéniture...Ceci dit, quand elle jeta un oeil sur son mari, qui trouvait cela normal de s'essuyer les mains mouillées sur son pantalon noir, elle se dit que la génétique faisait parfois mal les choses.
Elle reporta son attention sur sa fille unique. Carole ne comprenait pas pourquoi Alice s'enfermait dans son mutisme permanent...
A son âge, elle devrait sortir, s'amuser, sortir avec un garçon, aller chez des amies...Au lieu de cela, elle préférait repasser en boucle cette série stupide.
Elle soupira elle aussi, seule preuve concrète de leur lien de parenté, et repris:

"Je sais bien mon coeur, mais ça ne te plairais pas d'en avoir ?
-Maman, je suis très bien comme je suis ! A quoi servent les amis si l'on se satisfait à nous même ?!"répliqua Alice.

La mère en question cessa de couper son orange, retira son tablier et se plaça entre la télévision et son interlocutrice.
D'une voix dure, elle lui dit:

"Jeune fille, personne n'est heureux quand il est seul, c'est un fait.
-Eh bien, je suis l'exception qui confirme la règle, ajouta t-elle dans un sourire sarcastique.
-Voyons Alice ! Qui a t-il de mal à avoir des amis ?!
-Et qui a t-il de bien ?"

La jeune mère pensa alors qu'essayer de se donner raison avec sa fille était comparable aux demandes de divorce: c'est long, coûteux, et l'on ne gagne pas à tout les coups.
Elle tenta une nouvelle approche et s'assit sur le canapé en prenant les mains de la lycéenne dans les siennes.
Elle lui expliqua cette fois d'une voix douce:

"Chérie, les amis peuvent servir tu sais !"

Alice retira violemment ses mains et lui dit à son tour d'une voix pleine de reproches:

"Ah oui ? Et à quoi puis-je savoir ?
-E-eh bien, répondit la femme un peu sonnée de la dureté de sa propre fille, c'est parfois grâce à eux que l'on grimpe l'échelle sociale ! Il faut toujours avoir quelques amis sous la mains, comme moi.
-Je vois, et peux tu me rappeler où tes "amis" t'ont mené jusqu'ici ? Tu es mère au foyer il me semble non ?"répliqua t-elle, acerbe.

La coup de sa mère partit toute seule, comme un réflexe.
Cependant, ce ne fut pas la gifle de sa mère qui blessa le plus Alice, mais la peine mêlée d'humiliation dans le regard de sa mère, noyé de larmes qu'elle tentait de cacher en vain.
Elle baissa le sien et lui dit doucement tout en portant sa main à sa joue:

"Je suis désolée"
-Sors."

Elle releva la tête vers la personne qui venait de lui dire cela, Jordan Fever, son père.
Alice avait toujours adoré son père par sa douceur et son incapacité à lui refuser quoi que ce soit.
Mais la rien ne reliait son père bienveillant avec l'homme au regard dur qui tenait l'épaule de sa femme.

"Tu es allée trop loin. Ta mère doit se reposer, va dehors et ne revient pas tant que tu n'auras pas réfléchis sur tes paroles, lui ordonna t-il"

Elle savait bien qu'elle n'aurait jamais dut dire cela, mais elle devait maintenant prendre la totale responsabilité de ses actes... Elle se leva et alla enfiler une tenue décente dans sa chambre.
Elle monta les escaliers tout en effleurant la rampe en bois du bot des doigts, comme elle le faisait depuis qu'elle pouvait atteindre cette dernière.
La jeune fille passa devant la porte de son frère grande ouverte et s'arrêta devant.
Charles était sortit avec ses amis, comme tout les adolescents normaux le faisaient, tous sauf elle.
Il était évident que Charles était, aux yeux de leurs parents, le fils idéal.
Gentil, doué en sport mais loin d'être bête, populaire, bref, la réplique masculine de ce que sa mère voulait qu'elle soit.
Mais seule Alice voyait ce que ses parents refusaient de constater: les quelques cigarettes cachées sous l'oreiller, les jeux vidéos violent normalement interdit aux moins de 18 ans, les revues et films pornographiques rapidement glissés sous le lits, bien que c'était la première chose qu'Alice voyait en entrant dans la pièce, ce qui ne semblait pas être le cas de ses géniteurs.
Malgré tout, elle aimait son frère et ne l'avait jamais dénoncé à leurs parents, ne voulant pas briser leur petit bonheur face à a perfection absolue de leur fils.
Elle ferma la porte pour éviter que l'un des deux adultes ne voient les objets du délit et continua son chemin.
La lycéenne arriva enfin à sa chambre, ferma sa porte à son entrée et glissa le long de cette dernière en soupirant.
Bien qu'elle adorait sa mère, elle ne pouvait s'empêcher de la provoquer plus moins gentiment, mais ce jour là, c'était plutôt moins.
Elle s'en voulait terriblement de lui avoir fait tant de peine...après tout, être mère au foyer était son choix, choix plus que respectable...
Dès qu'elle rentrerait, elle irait lui présenter ses excuses !
Elle se releva donc et alla choisir au hasard une tenue: un simple blue jean avec son tee-shirt lapin.
Pendant que la lycéenne se déshabillait, elle inspecta son corps seulement vêtu de ses sous-vêtements devant son miroir.
Elle avait encore pris un peu de poids si elle se référençait à l’élastique de sa culotte qui lui rentrer dans la peau, faisant alors ressortir un petit bourrelet disgracieux...
On voyait bien que l'adolescente ne sortait que rarement, cause de sa blancheur naturelle et son air cadavérique.
Ses yeux rouges ,à l'origine bleus, et les fortes cernes qui les entouraient, la comparant avec un panda, reflétaient les nombreuses heures qu'elle passait devant la télévision avec ses séries idiotes.
Ne désirant pas en voir plus, Alice tourna le dos à la glace et enfila ses vêtements, décoiffant ses cheveux châtains au passage.
Elle refit ses habituelles tresses sans même penser à brosser sa chevelure et enfila avec peine ses chaussettes avant de sortir enfin de la pièce, démunies de toutes décorations personnelles.
Elle courra dans ses escaliers et s'arrêta dans le vestibule.
La jeune fille chercha un bon moment ses clefs avant de se rendre compte avec dépit qu'elle était dans la poche de sa veste qu'elle enfila ensuite.
Finalement prête, elle ouvrit la porte d'entrée et dit d'une voix forte:

"Je sors !"

Joignant le geste à la parole, elle quitta sa maison et courra, bien qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle pouvait aller.